Trop bêtes!

lundi 30 novembre -1

octobre 2003

Le matin, quand on est abeille,
pas d’histoires faut aller butiner.
Henri Michaux

Ce qui distingue l’homme de l’animal c’est la raison; confiné dans le présent, il se reporte vers le passé et songe à l’avenir: de là sa prudence, ses soucis, ses appréhensions fréquentes.

Arthur Schopenhauer



Humain ? Animal ?
 
 En guise d’introduction à ce cycle, Mon oncle d’Amérique met en lumière la vie des hommes grâce aux théories biologistes de Henri Laborit et nous rappelle que l’homme est un animal. Animal mu par les éternelles lois de survie et de recherche du plaisir. Devant l’impossibilité parfois de faire face aux agressions extérieures, il nous reste la lutte, la fuite ou le refuge dans l’imaginaire. Nos comportements sont en effet régis par des lois biologiques fondamentales que nous nous efforçons de justifier grâce à un discours logique. La conscience humaine a un besoin tel de tout maitriser qu’elle rejette les pulsions essentielles. Le monde animal, lui,  nous renvoie à notre propre inconscient. C’est peut-être pour cela qu’il  nous fascine tant. Jean Painlevé a voué sa vie à l’observation d’animaux étranges et physiquement très éloignés de nous. Pourtant nous tirons une formidable leçon d’humanité dans cette animalité. Autre exemple, la distance entre deux mondes vus à travers l’œil d’un faucon (Falkens öga), s’étiole grâce à l’absence de parole car le discours logique ne peut plus marquer la frontière de la différence fondamentale entre l’homo sapiens et la bête. Restent alors la naissance, la vie, la mort: uniques certitudes qui font de nous les gouttes d’eau de l’histoire de l’évolution.
L’animal donne la vie et la mort pour survivre. L’homme tue des animaux pour les manger ou pour se défendre parce que l’animal a tué. Jusqu’ici, les parcours sont parallèles. C’est le cas dans La chasse au lion à l’arc où le fait de donner la mort est un acte grave soumis à un rituel au sein duquel l’homme n’est pas omnipotent. La chasse est une affaire sacrée et l’animal doit être respecté. On le tue en lui demandant pardon, et parfois on accepte que la vie d’un homme soit prise en échange.
Par contre, dans Le sang des bêtes, on prend la vie parce qu’on fait du commerce. Aujourd’hui la plupart des hommes mangent de la viande sans savoir tuer un animal. Franju montre l’abominable car il montre une mort gratuite, sans liens directs. Alors ici comme la mort n’a pas d’histoire elle nous renvoie à la nôtre. L’animal devient nous, seul lien auquel se rattacher pour faire sens.
Dans Primate le supplice est à son comble car il s’agit de torture sous couvert de recherche médicale. Ici, ça n’est pas le commerce mais la recherche qui justifie les actes. Et l’institution est totalement dénuée de sentiments. Ainsi, les émotions des singes deviennent le miroir de nos propres peurs, de notre impuissance.
La recherche et le commerce sont des aspects de notre société moderne sur-organisée, hiérarchisée, découpée, avec tous ces intermédiaires au fil desquels on perd le sens des choses. Et l’animal au bout de la chaîne nous renvoie à notre propre incompréhension, à l’absurdité du système… dont les hommes sont prisonniers.
Alors certains, relégués tout au bas de l’échelle, en proie à la solitude, à la tristesse, se réfugient dans un amour “animal”, comme cette femme et son panda (Ying and Bai) qui s’enferme dans un univers silencieux, habité par les seules exigences d’un animal sauvage en captivité. Les images, les bruits de l’extérieur qui lui parviennent à travers l’écran de télévision deviennent dérisoires, privés d’humanité. Il ne reste à cette femme que le maigre réconfort de partager sa vie avec un panda qui ne la comprend pas et dont les besoins ne peuvent être comblés par cette existence emprisonnée.
Domination. L’homme à qui il ne reste plus d’alternative à son aliénation, qui ne se sent plus faire partie du monde de ses semblables, l’homme démuni, déçu, rejeté, peut-il encore se sentir vivant, important? Certains ne trouvent pas d’autre solution qu’une certaine forme de vengeance inconsciente. Ils aliènent, dominant à leur tour plus faible qu’eux. Grâce à cela peut-être retrouveront-ils un certain sens à leur vie. Dans Tierische Liebe, l’animal domestique devient le dernier espoir d’amour, d’affection d’êtres humains dont la vie ressemble à un électro-encéphalogramme plat. Ce désir éperdu de partage, de compréhension est d’autant plus pathétique qu’il mène directement à la frustration, à l’isolement. Les bêtes ne partagent pas avec nous le langage et le fossé se creuse… Le seul amour vraiment humain n’est-il pas, comme le dit Laborit, un amour imaginaire? D’autres ont compris, comme l’homme-pingouin, que la fuite dans le monde merveilleux de l’imaginaire peut être une solution à l’aliénation, et, cette fois-ci, sans indexer personne. C’est cela, peut-être, la grande découverte humaine, cette façon de jouer avec la pensée, avec l’inconscient, qui nous propulse parfois dans des mondes d’ivresse solitaire et nous fait rêver en donnant un sens à tout cela. Un jeu que les artistes connaissent bien. William Wegman depuis les années 70 s’est amusé à se mettre en scène, lui, son chien et son monde imaginaire, devant sa caméra vidéo, nous donnant à voir toute une série de pièces-sketches où l’absurdité de la réaction animales aux stimulations du maître déjanté sera poussée à son paroxysme. Wegman use et abuse de son pouvoir en utilisant la récompense et nous montre à quel point la stimulation engendre la réaction, souvent hilarante, d’un chien qui est enfin pris pour ce qu’il est: un chien.

P.S. nous avons le plaisir d´annoncer que les séances du mercredi 15 et samedi 25 seront enrichies d´un film supplémentaire: LES SAISONS de Artavazd Pelechian

Caroline Suard

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