Wanda

Film

L'idée de faire dans un film le portrait d'une femme, est-ce pour vous un projet ancien?

- J'ai lu un jour dans un journal l'histoire d'une fille ainsi absente, dont la personnalité m'a intéressée quoique l'article n'ait pas fourni beaucoup de détails psychologiques sur cette complice d'un hold-up. Lorsque j'ai pensé écrire une histoire, j'ai trouvé plus facile de lui donner la forme d'un scénario de film, en pensant que quelqu'un le tournerait un jour. Une grosse compagnie de production, il y a de cela des années, a pris une option sur le scénario. Quand celle-ci est arrivée à expiration, différents producteurs s'y sont intéressés, mais quand je les rencontrais, ou bien ils n'avaient pas d'argent, ou bien ils n'avaient pas de metteur en scène. Enfin, j'ai vu qu'il faudrait que je le fasse moi-même, puisqu'aucun de ceux que je rencontrais n'était plus compétent que moi. Ce n'est pas que je pense avoir les plus grandes capacités pour faire un film, mais chacun a ses limites et il ne faut pas se laisser arrêter par elles. Et mon mari (Elia Kazan) aussi m'a encouragée. Il m'a montré que si j'avais envie de le faire, je devais le faire. Il m'a jetée à l'eau et j'ai nagé.

Aviez-vous une connaissance personnelle de ce milieu - social ou géographique?

- Oui, de ce genre de vie du moins. L'histoire se situait à l'origine dans le Sud, d'où je suis originaire. Au moment de faire le film, j'ai pensé qu'on avait déjà beaucoup utilisé cette région et je l'ai donc situé dans ce pays minier que je suis aussitôt allée étudier. Le milieu ne change pas la vie. Que ce soit dans une mine, une usine, ou une ferme, on trouve le même genre de vie, la même pauvreté de culture. Je viens de ce type de milieu, qui ne convenait pas à ma nature. Et je pensais que c'était moi qui n'était pas normale. Quand je suis partie, j'ai compris que ce n'était pas moi, que c'était l'environnement qui était malade. Wanda n'a pas les mêmes données que moi. Je devais être plus intelligente qu'elle. Elle utilise les moyens qu'elle peut. J'en ai utilisé d'autres. En Caroline du Nord, dans les montagnes, si j'étais restée, j'aurais été vendeuse, je me serais mariée à dix-sept ans, j'aurais eu des enfants et je me serais soûlée le vendredi et le samedi soir. J'ai eu la chance de partir, mais pendant des années encore, j'ai été, comme Wanda, une morte-vivante; jusqu'à trente ans environ. Je traversais la vie comme une autistique. Ne recevant et ne donnant rien, parce qu'il faut se protéger des forces qui veulent vous agresser, gens, culture, environnement.
Les femmes trouvent leur identité avec un homme. Wanda ne peut survivre qu'avec un homme et en s'accordant à son ambition. Elle pense ne pas pouvoir vivre autrement. C'est une attitude très répandue chez les femmes, du moins en Amérique. Je ne sais pas pour les autres pays. Une femme n'a d'identité qu'à travers l'homme qu'elle attrape.

Wanda est dans une situation particulièrement désespérée.

- Je crois son cas très courant. Je crois que dans les pays européens, il y a une éducation standard minimum reçue par tout le monde... Mais plus encore qu'une question d'éducation, c'est une question d'environnement. Tout le monde est conforme à l'environnement, donc il n'y a personne pour proposer un changement. Les hommes eux aussi traînent, ne savent pas quoi faire, sont sans espoir...

Une femme dans une situation plus aisée que Wanda...

- ... vivrait de la même façon, mais plus luxueusement, avec les mêmes conditions psychologiques, mais plus de confort. Elle serait avec un millionnaire, un quelconque escroc légal. Mais moi je connais mieux le milieu que j'ai montré que celui des millionnaires.

Le script était-il déjà entièrement écrit lorsque vous avez fait ces recherches sur la région minière?

- Oui, et au début du tournage j'ai dû m'en écarter beaucoup parce que je ne pouvais pas toujours trouver les lieux ou les gens qui convenaient; je devais utiliser tous les non-professionnels plus ou moins dans leur propre rôle parce qu'ils n'auraient pas su faire autre chose. J'ai dû aussi laisser tomber beaucoup de scènes trop explicites. Ecrites, elles allaient bien, mais filmées, elles faisaient répétition. Si on les voit, on n'a pas à les dire. De plus, les gens, souvent, ne sont pas conscients de leur condition; ils n'ont même pas de problèmes; ils ne les expriment donc pas. Ce sont les observateurs qui voient leurs problèmes. J'ai donc dû couper beaucoup de dialogues qui expliquaient les personnages. Il suffit parfois de voir la nuque de quelqu'un pour comprendre beaucoup de choses.

La scène finale a dû demander de la préparation.

- J'en ai même tourné une autre, qui devait venir juste après et que j'ai coupée parce qu'elle n'était pas nécessaire: la police vient et emmène Wanda. Cela n'aurait rien changé; elle est déjà en prison; c'est une victime. Nous sommes donc allés dans ce bar, nous avons dit aux gens que nous allions tourner, que je serais là et qu'ils devaient se conduire normalement. Ce qui se passe alors est fortuit. Quand on tourne de cette façon, on gâche beaucoup de pellicule car on ne peut pas faire répéter les gens que cela inhiberait. Nous avons donc tourné en une seule fois et nous avons travaillé au montage. Nous n'avions jamais beaucoup d'éclairage - il y a d'ailleurs trop de grain pour mon goût. Nous nous contentions de mettre des éclairages plus puissants à l'emplacement exact des ampoules originales.

Vous reconnaissez-vous des influences?

- Sans doute le cinéma-vérité français en ce qui concerne le
16 mm et l'équipe réduite, ou encore À bout de souffle, et puis Andy Warhol: ses films sont techniquement si mauvais qu'on ne sait jamais ce que disent les gens; j'ai pensé qu'après tout on ne demande pas la perfection au cinéma! Et aussi les documentaires: chaque fois que j'en voyais un, je me demandais pourquoi on ne pouvait pas faire un film de fiction de la même manière. Mais pour la façon de raconter une histoire, j'ai plutôt été influencée par la littérature qui m'a toujours plu, Zola, Céline.

Certaines choses évoquent Bonnie and Clyde.

- C'est un film que je n'aime pas. J'ai même été choquée par son idéalisation. On aurait pu faire la même chose de façon plus réaliste, avec les meurtres, mais sans toutes ces belles choses, ces belles couleurs, ces belles personnes... Les gens aussi beaux ne deviennent pas barbares... ils n'en ont pas besoin. Ils ont d'autres moyens de s'en sortir. Bonnie et Clyde n'étaient pas beaux dans la réalité. Et, en tout cas, mon scénario a été écrit avant Bonnie and Clyde.

Ce qui est frappant, c'est le policier qui lui dit à plusieurs reprises de laisser tomber son arme.

- J'ai demandé à un policier ce qu'il aurait fait. Ils ne tirent pas dans un cas pareil, sauf si on braque un revolver sur eux. Si on le tient sans les viser, ils demandent de le laisser tomber ou de le leur donner. Si on le relève, ils tirent aussitôt.

Politiquement, votre film peut-il éveiller la conscience de spectateurs conservateurs qui pensent que l'Amérique est le modèle de la démocratie?

- Je l'espère. Mais je ne fais pas de politique, sinon au plan individuel. Mon film est une critique, une attaque. Je suis malade quand je pense aux forces qui m'ont manipulées, au lavage de cerveau auquel m'a soumise l'ignorance qui m'entourait, la propagande... J'étais une marionnette. J'y ai pris inconsciemment des façons d'être ou de penser. Maintenant je suis consciente. Le gouvernement, les affaires, la publicité, les médias, eux ont le pouvoir. Que faire? Déjà une résistance individuelle.


Entretien avec Barbara Loden (extraits) / Positif, avril 1975, no 168
(propos recueillis par Michel Ciment)

Avec:
Barbara Loden, Michael Higgins, Dorothy Shupenes, Pete Shupenes, Charles Dosiman, Marian Thier

Auteur Loden Barbara
Pays Etats-Unis
Année 1970
Durée 105'
Genre Fiction
Version vo st. fr
Couleur Couleur
Format 35mm
Thème Wanda de Barbara Loden

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