Naissance d´un hôpital

Film

Le tournage de Naissance d’un hôpital , d’après le Journal d’un architecte de Pierre Riboulet, aura été l’apprentissage du peu de choses qui sépare au cinéma ce qu’on nomme documentaire et ce qu’on désigne comme fiction. Riboulet avait concouru pour la construction de l’hôpital Robert-Debré huit ans plus tôt. L’hôpital était construit et en service depuis deux ans. Le film procède donc à la manière d’une reconstitution historique, comme si rien n’était encore bâti, le concours non encore gagné, le journal en train de s’écrire, les plans en gestation, les dessins pas encore sortis, la page encore blanche. Fiction. Mais c’est Pierre Riboulet lui-même qui tient son rôle. Ce sont ses dessins qu’il reprend, recommence, redessine ; ses plans qu’il trace de nouveau pour le film, ses maquettes qu’il sculpte dans le liège. Et c’est sa voix qui lit des extraits de son journal : nous sommes au présent du travail, spectateurs présents aux différentes phases d’un processus de création parfaitement solitaire. Magie du cinéma. Il est évidemment impossible de séparer ici la dimension documentaire de la dimension fictionnelle. Le corps de Riboulet, sa voix, ses gestes sont les siens, sans conteste : documentaire. Mais Riboulet est plus vieux de huit ans. Il rejoue son propre rôle : fiction ? L’atelier où il est filmé n’est pas le sien, mais la maison de la Creuse est bien celle de son père. Tout ce système de tourniquet me faisait éprouver à quel point la seule vérité qui joue au cinéma est celle de la relation des éléments entre eux : entre un corps, une voix, une parole, un regard, des gestes, il peut y avoir cohérence ou non, pertinence ou non. C’est cette relation qui est l’objet de la mise de croyance du spectateur. Par exemple, quelques-uns des architectes ou élèves architectes qui ont vu le film ont mis en doute le fait que Riboulet ait travaillé seul (et sans ordinateur) et qu’il ait dessiné lui-même l’ensemble des plans : ça ne se fait plus de nos jours. Et pourtant, l’invraisemblable était vrai.
(in « Voir et pouvoir, cinéma, télévision, fiction, documentaire », Verdier, 2004).