Dig!

Film

Si tout le monde ou presque connaît aujourd'hui les Dandy Warhols, plus rares sont ceux pour qui le Brian Jonestown Massacre évoque quelque chose. Pourtant, ces deux groupes étaient comme frères à leurs débuts. En suivant leurs évolutions respectives, Dig ! réinvente le documentaire rock et déniaise enfin le mythe : sex (quoi que..) drugs and rock'n'roll !

Qu'est ce qu'un bon documentaire sur le rock ? Si quelques films ont fait date dans le genre, tel ceux de D. A. Pennebaker ou de Lech Kowalski, l'Histoire retient plus souvent des images « glacées », reliques pieuses de cette brûlure qu'est censé incarner l'expérience musicale. De fait, les captations de concert sont la plupart du temps à mourir d'ennui, faisant au mieux regretter de ne pas avoir été là, pures images témoin. Les fictions se limitent souvent à des compilations de clichés (à l'exception du magnifique Syd and Nancy d'Alex Cox), échouant à atteindre le cœur même du sujet. Quant aux documentaires, ils restent toujours dépendants du regard plus où moins amoureux/soumis du réalisateur. Or avec Dig !, Ondi Timoner réussit à trouver un équilibre pour donner un éclairage inédit et passionnant sur le rock : les deux trajectoires qui s'y croisent invitent en effet à lire bien plus loin qu'elles-mêmes, bien au-delà d'un simple devenir rock-star de post-ados mal dans leur peau.

Sexe, drugs and rock'n'roll, le film débute pourtant comme un pur cliché. Tout, dans l'attitude des deux groupes alors amis en 1996 - Dandy Warhols et Brian Jonestown Massacre -, renvoie à des images parfaitement (re)connues : les concerts où la violence déborde la musique, les soirées de défonce, puis la drogue au quotidien, la composition des morceaux, les voyages groupés en car… Mais, très vite, à travers la différence des parcours et des deux fortes personnalités Courtney Taylor, dandy prêt pour le succès, et Anton Newcombe, génie associable et maladif, cette dimension quasi mythologique des frères ennemis entraîne le documentaire là où on ne l'attendait pas. En effet, leur relation se transforme progressivement sous nos yeux : la réalisatrice a passé sept ans en compagnie des deux groupes, dans un rapport qui se fait de plus en plus intime. Beau gosse ambitieux et talentueux, Courtney Taylor va rapidement tomber le masque de la rebel attitude pour assumer son heure de gloire. Après plusieurs hits, les Dandy Warhols signent avec Capitol, et changent de style de vie. De leur côté, les Brian Jonestown Massacre ne sortent pas de leurs luttes internes et des crises d'Anton Newcombe. Une scène incroyable montre les Dandys débarquer à l'improviste chez Newcombe pour faire une séance de photos, et découvrir un véritable taudis, rempli des cadavres encore chauds de la soirée. Le fossé commence à se creuser entre les groupes et la rancune, le mépris et la jalousie enveniment leurs rapports.

Ecrire pour l'immortalité
Une scène parfaitement inverse figure les BJM débarquant sur le tournage du premier gros clip des Dandys, réalisé par la superstar David La Chapelle. Mieux que dans le meilleur des scénarios, la réalisatrice montre la dissymétrie croissante des deux spirales où évoluent ses protagonistes : l'une vertueuse et l'autre destructice. Au passage, c'est un portrait passionnant du milieu de la musique, avec ses millions claqués pour un tube, et le refus d'intégrer le moindre artiste un peu « hors cadre ». Sur le plateau de tournage de leur clip, même les Dandy Warhols se trouvent mal à l'aise devant le décor immense et ultra-kitsch qui leur sert d'écrin. S'ils savourent les avantages du succès, ils gardent aussi une lucidité touchante. Ainsi, Courtney Taylor reconnaît qu'Anton Newcombe reste un meilleur compositeur, un homme qui possède toujours une longueur d'avance sur lui. Et l'Histoire, dans tous ses méandres, pourrait bien retenir le BJM plutôt que les Dandy Warhols. Cette projection en avant, la postérité, sujet latent du film, devient soudain très clair. Alors que Taylor et Newcombe vivent et créent dans des circonstances radicalement différentes, leurs œuvres aspirent à bien plus qu'une reconnaissance immédiate, elles tendent, comme toute musique, vers deux extrémités qui se rejoignent : le pôle intime et le pôle historique. Ecrire pour marquer l'Histoire de la musique (et atteindre l'immortalité) et écrire pour atteindre ce noyau au plus profond de soi (et s'apaiser).

Avec Dig !, Ondi Timoner parvient à donner corps à ce courant alternatif qui produit une œuvre musicale. C'est pour cela que l'on peut sans doute apprécier le film sans pour autant être fan de rock où des deux groupes. Pour en arriver là, le travail de la réalisatrice a du être immense : sur une période aussi longue, on imagine la générosité et la patience qu'il lui a fallu pour garder ce regard toujours aussi empathique, jamais méprisant. Un engagement physique et moral qui lui a sans doute permis de recueillir ces témoignages où semble percer une belle et trop rare sincérité. Et, pour les fans de rock, ce voyage halluciné convoque tout une généalogie mythique, des frères ennemis Beatles/Stones ou Oasis/Blur - à la différence, comme le remarque Newcombe, que ceux-ci vendaient tous des millions de disques. Très ancrés 60's/70's, les deux groupes s'inscrivent d'ailleurs consciemment dans un mouvement revival, nostalgique d'une certaine flamme rock'n'roll.

Hommage à l'artiste maudit
Héros malgré lui, tout comme dans les vrais mélos, le personnage le plus touchant du film se trouve être le plus malheureux. Anton Newcombe, vénéré par un petit cercle de mélomanes éclairés, a tout de l'artiste maudit : paranoïa grandissante, talent inouï (il est capable d'enregistrer 5 albums en un an tout seul), tempérament irascible... en somme, une sensibilité outrancière et douloureuse. Il faut le voir s'arrêter de chanter en plein morceau lors des concerts pour injurier le public ou un membre de son groupe - phénomène qui se produisait très régulièrement. Foncièrement rétif au commerce, on le voit saboter plus ou moins consciemment toutes les opportunités que le business lui laisse de se faire un nom. Cette force négative qui le dépasse rappelle évidement d'autres grands artistes lui ayant succombé. Mais Newcombe, lui, résiste. Après la séparation du groupe, il continue à enregistrer et à jouer en concerts.

Le film devient involontairement un hommage à ce survivant, comme si l'on redécouvrait un artiste disparu, mais toujours vivant. On espère sincèrement qu'une deuxième vie s'ouvrira enfin à lui, qu'un plus large public le connaîtra de son vivant et que son influence, indéniable, sera reconnue. Même si, comme ne cesse de le montrer Dig !, le mythe rock'n'roll, c'est dur à porter.
Laurence Reymond (www.fluctuat.net)

Auteur Timoner Ondi
Pays Etats-Unis
Année 2004
Durée 107'
Genre Documentaire
Version
Couleur Couleur
Format 35mm
Thème DIG!

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