Une visite au louvre

Film

Avec "Une visite au Louvre", Jean-Marie Straub et Danièle Huillet tentent l'expérience d'approcher au plus près, par les effets conjugués de l'épure et de la radicalité du propos, le cœur de leur pratique de cinéastes.

Le cœur donc, d'une particularité plastique évidente des films qui échappe cependant, séduit, surprend toujours. À travers la mise en scène - et en abîme - du regard porté successivement sur la ville, la sculpture, la peinture et sur un sous-bois inondé de lumière où passe un torrent, les questions de la forme et de la puissance critique qui accompagne les processus de représentation, c'est-à-dire aussi la question du réalisme, sont abordées frontalement.

Suivant le sujet développé dans chaque extrait choisi des conversations entre Joachim Gasquet et Paul Cézanne, dont la lecture en voix-off forme la bande son du film, La Victoire de Samothrace, des tableaux d'Ingres de Véronèse, Giorgione, David, Delacroix et Courbet apparaissent à l'écran. Les vues, toujours fixes, donnent lieu à quelques recadrages de détails - à peine trois ou quatre -, ainsi qu'à une variation sur les limites du cadre cinématographique, mais jamais à un mouvement de l'objectif sur la représentation. Les cinéastes ne substituent pas le travail du film à celui des oeuvres qu'ils regardent.

Confrontés aux tableaux la majeure partie du temps, à une forme réalisée en fonction de limites fixes et définitives, ils choisissent d'accorder la caméra aux impératifs picturaux. Contrairement au procédé courant, dans les films d'art, par lequel l'objectif se déplace dans la représentation et anime la peinture ou la sculpture de son mouvement d'investigation, Une visite au Louvre établit avec l'objet du regard les termes d'un accord plastique. C'est un trait du cinéma de Straub et Huillet de mettre le plan cinématographique en demeure d'organiser l'accord de l'objet vu et du cadre qui le saisit. Ici, la première règle de l'accord face à la peinture est de respecter son format, face à la sculpture, de respecter l'intégrité de son volume, la seconde règle est de respecter leur fixité commune. Des morceaux de mur plus ou moins grands apparaissent donc autour des tableaux, selon que leurs dimensions s'ajustent plus ou moins bien au cadre cinématographique.

Le point de vue de Cézanne qui accompagne la visite, celui d'un peintre, est aussi celui du goût, de la joie que lui procurent certaines toiles, et de l'ennui que d'autres lui inspirent. Très investi, soutenu par la lecture de Julie Koltaï dont la respiration, le rythme sont travaillés avec minutie, livrant une interprétation ciselée de la parole à laquelle elle redonne souffle, le texte recoupe pourtant, par son propos et les choix esthétiques qui s'y expriment, les termes du débat qui opposait, au XVIIième siècle, parmi les professeurs, artistes et érudits de l'académie des Beaux-Arts en France, les classiques et les modernes. Les classiques étaient les peintres d'histoire dont les compositions devaient restituer des scènes de la culture littéraire des Anciens, grecs et latins, ou de la bible. L'image était donc animée de références, peuplée de codes permettant de reconnaître l'histoire dont elles étaient porteuses. Hantée par le texte, cette peinture met à l'honneur le travail de la ligne qui définit clairement et sépare les éléments de la représentation. Les modernes, au contraire, étaient contre la ligne, peintres de la couleur, de l'instant et de l'impression sensible que le tableau communique. À la fin du XIXième siècle, Cézanne, peintre de la couleur également et précurseur des avant-gardes picturales du XXième siècle, défend l'impression de réalité qu'elle procure, le charme et le transport qu'elle produit pour son spectateur. Il fustige la tristesse d'une composition qui s'épuise dans ce qu'elle veut dire, par exemple le Marat de David. Il glorifie la force réaliste de Courbet. Sans cesse il réclame plus de lumière, que l'on regarde et que l'on voie la couleur comme s'il s'agissait de s'y exposer, d'en faire l'épreuve sensible.

Dans le dernier plan du film, au milieu du sous-bois d'Ouvriers paysans et Humiliés, la lumière également donne toute sa force à l'image. On voit alors que c'est, au cinéma, la lumière de Cézanne que retrouvent Straub et Huillet, non pas donnée par l'histoire, mais par l'instant unique, par la présence et le sentiment transitoire d'être-là, dans le monde.

Hélène Raymond

Auteur Straub, Huillet Jean-Marie, Danièle
Pays France
Année 2004
Durée 1'
Genre Essai
Version
Couleur Couleur
Format 35mm
Thème Straub & Huillet

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